16

À l’heure du déjeuner, Teresa descendit au bar de l’hôtel pour commander des sandwiches. C’est Amy qui se trouvait alors derrière le comptoir, et Teresa se dit qu’elle semblait moins renfrognée qu’à leur dernière rencontre ; mais la jeune femme repartit tout de suite après l’avoir servie, laissant Teresa seule dans la grande salle déserte. Elle but un verre d’eau minérale glacée, ce qui lui parut fort raisonnable, et s’octroya par la suite une petite tasse de café. Le pub resta parfaitement normal, solidement ancré dans la réalité. Nick et Amy firent quelques passages pour servir les clients occasionnels.

De retour dans sa chambre, Teresa consulta une fois de plus sa carte de Bulverton. Elle y dénicha Welton Road, coincée dans un entrelacs de petites rues situées près du Ridge, la route circulaire qui bordait les collines jusqu’au nord de Bulverton, telle une frontière séparant la ville de la campagne.

Elle prit sa voiture pour gagner Welton Road ; une fois sur place, elle découvrit que cette rue faisait partie d’un complexe industriel récent. De nombreux immeubles vastes et anonymes, faits de béton préfabriqué avec des façades de brique, bordaient les rues. La plupart des bâtiments commerciaux semblaient plutôt abriter des industries légères : d’après les panneaux, il s’agissait de compagnies de logiciels informatiques, de fournisseurs d’emballages, de manufactures de composants électroniques et d’agences de coursiers. Dans un tel environnement, l’immeuble de l’expérience extrême n’avait rien de particulièrement remarquable, et elle passa devant par deux fois sans le distinguer des autres. En guise d’identification, il ne comportait qu’un minuscule panneau près de la porte annonçant : GunHo ExEx. Le bâtiment comportait peu de fenêtres et une seule entrée, plus un vaste parking devant la façade. Teresa s’y engagea, mais malgré sa taille le parc était bondé et elle ne put trouver la moindre place libre : Teresa dut aller se garer au bord de la route, à quelques dizaines de mètres de là.

En verrouillant sa portière, elle s’aperçut que quelqu’un venait de quitter le bâtiment. Elle le reconnut sur-le-champ : c’était l’homme du marché de la Vieille Ville, celui qui s’était montré si agressif envers Amy. Elle se dirigea immédiatement vers l’arrière de la voiture, ouvrit le hayon et se cacha derrière ; ainsi, elle put observer l’inconnu à travers la vitre teintée. L’homme s’éloigna de l’entrée d’un pas vif, traversa le parking et rejoignit une voiture garée assez près de la sienne. Il n’eut pas l’air de remarquer sa présence ; il n’avait aucune raison de se méfier.

Teresa attendit qu’il se soit éloigné, bien qu’elle-même n’aurait su dire pourquoi elle prenait toute cette peine pour l’éviter. Elle verrouilla ses portières, puis se dirigea vers le bâtiment. Une double porte de verre donnait sur une réception des plus conventionnelles, où une jeune femme trônait derrière un grand bureau.

À première vue, l’endroit était surpeuplé. Il y avait des gens partout. Cinq personnes étaient assises dans une salle d’attente tout près de la réception et deux autres faisaient le pied de grue devant le bureau. La jeune réceptionniste parlait au téléphone tout en griffonnant sur son bloc de sa main libre. Sur le côté de la table gisait un amas de paquets cachetés attendant d’être envoyés à leurs destinataires ou que ceux-ci viennent les récupérer.

Au-delà de la salle d’attente, il y avait une porte dotée d’un panneau transparent ; curieuse, Teresa s’en approcha et regarda à travers. Un panneau accroché au-dessus de la porte arborait une inscription dont le lettrage émulait les graffiti bombés que l’on trouvait partout et proclamait : CYBERVILLE UK. Au-delà s’étendait une longue salle mal éclairée, dépourvue de fenêtres et équipée d’au moins une douzaine de PC, tous allumés, tous en main. Teresa comprit soudain ce qu’était cet endroit : un cybercafé. Les clients ne cessaient de consulter Internet pour télécharger et effacer des graphiques, sacrifiant ainsi à leur quête personnelle et incessante de données. À l’autre bout de la pièce, on avait installé des jeux vidéo d’arcade, mais personne ne s’en servait. La plupart des clients, tous absorbés par les gribouillis électroniques qui défilaient sur l’écran, semblaient très, très jeunes.

Elle retourna dans la réception et attendit son tour. Finalement la jeune femme, dont le badge portait le nom de Paula Willson, du département d’assistance aux consommateurs, se tourna vers elle.

« Je peux vous aider ? demanda-t-elle.

— J’aimerais utiliser votre équipement ExEx.

— Oui, nous avons ce qu’il vous faut. Vous êtes membre ?

— Non. Est-ce absolument nécessaire ?

— Oui, à moins que vous ne fassiez déjà partie d’un club associé.

— J’ai déjà utilisé les ExEx aux États-Unis, mais pas sur des équipements publics. C’était… du matériel d’entraînement. »

Paula Willson tira un formulaire d’une pile posée sur son bureau et le lui tendit.

« Si vous voulez bien remplir ceci, dit-elle, nous pouvons vous inscrire immédiatement sur nos fichiers. Comptiez-vous vous servir de nos appareils sur-le-champ ?

— Oui, si c’est encore possible.

— Nous sommes toujours plus ou moins complets, mais nous avons un ou deux créneaux pour cet après-midi. Les jours de semaine sont toujours moins chargés que le week-end. » Elle avait tourné la feuille de papier dans sa direction et la tapota du doigt. « Il vous suffit de remplir ce formulaire d’identification. Ensuite, nous vous demanderons de payer votre adhésion. Nous acceptons les cartes de crédit.

— Et après l’avoir rempli, c’est à vous que je devrai le donner ?

— En effet, Puis-je vous aider ? »

Elle se tournait déjà vers deux jeunes gens qui étaient rentrés dans le bâtiment durant leur échange et se tenaient derrière Teresa. Celle-ci prit le formulaire et l’emmena dans la salle d’attente. Elle s’installa sur l’un des canapés de cuir noir et se pencha pour poser la feuille sur la table de verre qui se trouvait devant elle. L’en-tête proclamait ; Corporation GunHo-Expériences Extrêmes et accès Internet.

Comparée à certaines paperasses qu’elle avait dû remplir aux États-Unis, celle-ci était relativement sobre ; on y trouvait les requêtes habituelles – décliner son identité, son statut social et financier, son métier – mais rien de tout ça ne la dérangeait. Par contre, lorsqu’elle en vint aux questions concernant son emploi, elle eut une hésitation : comment pouvait-elle résumer ses fonctions au sein du Bureau ? Celui-ci n’avait jamais promulgué de directives à ce sujet, si bien que, lorsqu’il fallait remplir des questionnaires de ce style aux États-Unis, elle faisait comme les autres agents et employait des termes vagues tels que « fonctionnaire du gouvernement américain » ou « attachée au département de justice », tandis que leur travail proprement dit rentrait dans la catégorie « service public » ou « employé fédéral ». Elle préféra éluder la question et passer à la page suivante.

Là, elle trouva une série de questions concernant l’usage qu’elle entendait faire de l’équipement auquel on lui proposait d’accéder : tout un éventail de possibilités était ainsi répertorié, d’un simple e-mail en passant par les téléconférences, le surf sur Internet et, enfin, les scénarios d’expériences extrêmes. En cas de réponse positive, il fallait donner d’autres précisions regroupées sous les bannières « emploi général » et « emploi spécifique », chacun flanqué d’une longue liste d’options, puis choisir les modules d’entraînement. Elle parcourut la liste des yeux en s’extasiant de tout ce qui se trouvait à sa disposition.

Elle se limita d’elle-même à deux choix : l’option concernant les scénarios en général, parce qu’elle ne savait pas exactement ce qui était disponible et qu’une telle définition semblait lui laisser toute latitude de choisir par la suite, et dans les modules d’entraînement, l’option « Tir sur cible au pistolet ». Une note précisait que, pour ce choix, les impétrants devaient produire une licence ou une accréditation, plus une référence de leur employeur ou de la police.

Elle le cocha néanmoins avant de revenir au tout premier feuillet. Pour ce qui est de son employeur, elle écrivit « Département de Justice des États-Unis – FBI », et se qualifia d’« agent fédéral » ; là où on demandait le nombre d’années qu’elle avait passées au service de ce même employeur, elle précisa « 16 ».

 

Teresa attendit de nouveau à la réception avant de pouvoir rendre le formulaire, puis encore une fois, alors que Paula Willson le parcourait des yeux.

« Merci, finit-elle par dire. Puis-je voir votre carte d’identité et votre carte de crédit, s’il vous plaît ? » Teresa lui tendit sa carte du Bureau et sa Visa à l’effigie de la Baltimore First National. La jeune femme passa cette dernière dans la fente d’un lecteur électronique et, tout en attendant la réponse, jeta un coup d’œil à son identification. Elle lui rendit le tout sans le moindre commentaire, puis pianota sur le clavier de son ordinateur avant de déclarer :

« Je ne suis pas qualifiée pour vous donner l’autorisation d’accéder au stand de tir au pistolet. Voulez-vous bien attendre quelques minutes afin que j’en réfère à mon supérieur ?

— Bien sûr. Allez-y. Mais vous m’avez dit que vous aviez quelques créneaux pour cet après-midi. Imaginons que ma candidature soit acceptée : puis-je en réserver un dès maintenant ? »

Paula Willson eut l’air surpris, mais continua de pianoter sur son clavier et, au bout d’un instant, dit :

« Eh bien, notre logiciel de tir à la cible est libre pour trois heures et demie, dans à peine une heure. Et le prochain créneau est à cinq heures. Ou préférez-vous employer les scénarios généralistes ?

— Je prends le créneau de trois heures et demie », s’empressa de répondre Teresa.

Celle-ci redoutait toujours les scénarios complets et ce qui en découlait : l’afflux de sensations physiques incroyables, le fait d’être soudain arrachée à la réalité. D’un autre côté, elle savait très bien à quoi ressemblaient les systèmes ExEx qui étaient régulièrement employés par le Bureau. Ce qui ne l’empêcha pas de demander :

« Et les autres scénarios ?

— Pour aujourd’hui, tous sont réservés. Mais il y a encore deux heures de libres pour demain. »

Teresa ne s’attendait pas à un tel délai : elle croyait pouvoir entrer immédiatement dans le scénario, comme elle le faisait à l’académie.

« Vous êtes toujours aussi surchargés ? demanda-t-elle.

— À peu près. Ces derniers temps, l’ExEx est devenu beaucoup plus populaire qu’il ne l’était l’an dernier. Et c’est encore pire dans les grandes métropoles. Par exemple, à notre centre de Maidstone, il y a une liste d’attente de quatre mois rien que pour s’inscrire. À Londres et dans quelques autres grandes villes, il faut compter un an. Bientôt, nous ne pourrons plus accepter de nouveaux membres : nous tournons déjà au maximum de nos capacités.

— Je ne savais pas que l’ExEx avait pris une telle importance.

— Et pourtant, c’est le cas. » La jeune femme se tourna vers son écran. « Alors ? Dois-je vous réserver le créneau de trois heures trente ?

— Oui. Merci. Ensuite, je m’arrangerai pour prévoir mes séances. »

Une imprimante implantée dans le bois même du bureau émit un crissement étouffé et expectora un rouleau de papier animé de tressautements rythmiques. Paula Willson l’arracha et le tendit à Teresa pour qu’elle le signe. C’était une facture de carte de crédit.

« Autant vous donner notre liste de tarifs, ajouta la réceptionniste en tendant à Teresa une brochure en papier glacé. En temps voulu, nous vous enverrons une copie du règlement réservée aux nouveaux membres.

— Si toutefois ma candidature est acceptée.

— Je ne vois pas pourquoi ils la refuseraient. Je crois que vous allez être notre premier agent du FBI. »

Les Extrêmes
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